ça a commencé comme ça
Édition, 2021
Illustration de couverture d'un texte, écrit par Fanny Boidron.

"C’est étrange de revenir ici maintenant. Beaucoup de choses ont changé.
Les arbres au fond du jardin s’affaissent progressivement. Il n’y a plus vraiment de traces de notre cuisine sauvage, où on jouait à la dinette, à la sorcière, aux pirates.
Les lieux ne me parlent plus de la même façon.
Je ne vais plus me percher dans l’arbre. Je ne cache plus les bonbons entre les rondins de bois. Je ne cours plus après le chien.
J’ai cessé de voir le jardin, et la maison, comme un terrain de jeu, une terre vierge à explorer et à conquérir par l’imagination.
C’était la même chose à chaque vacances. Un mois, un long mois passé en compagnie des parents et grands-parents, à répéter les mêmes activités, chaque été, les mêmes gestes, les mêmes paroles. Les mêmes rituels, ceux d’une famille bourgeoise et aisée, profitant de ses quatre semaines de congés estivaux. Les « Comme tu as grandi », les « Je t’ai connu toute petite », les « Tu veux de la limonade ? », les « Ce n’est pas juste, elle en a déjà repris », les « Qui veut du café ? » les « Maman, ou est-ce que tu as rangé le chocolat », les « Quittez un peu vos écrans, il fait beau dehors », les « À qui sont les chaussettes et les culottes qui traînent dans la chambre ? »
Les concours de pets et de rots, les jeux de cartes, de dés, le UNO, la bonne paye, le Monopoli, le Babylon, les cache-cache, les spectacles de danse, de claquettes, les après-midi à la plage, les sauts, les pelles, les châteaux de sable, la limonade et le Gochtial, les maisons en bonbons, les paréos, les coups de soleil, les tours à la douche, les cousins, les cousins de cousins, les engueulades, les premières sorties, les premiers feux, les premiers crushs, les premières cuites.
Les nuits à la belle étoile.
La chair de poule.
Saint-Gildas-de-Rhuys. Une bourgade en bord de mer, dans le Morbihan. Soixante-quinze habitants à l’année, mais probablement cinq mille l’été. Les plages se remplissent de Parisiens et de Versaillais, qui se croisent et se recroisent en juillet-août, se reconnaissent, se saluent. Tous bourgeois. Presque tous chrétiens. Garants des traditions et de notre si beau patrimoine. FRANÇAIS, que dis-je, FRANÇAIS DE SOUCHE !
Bah voilà. Je viens de là.
Je viens des dimanches matin à la messe, des stages de voile ou de tennis, des journées VTT ou poney, du catéchisme, des grandes tablées et des dix-huit cousins et cousines. Des « J’adore Michel Sardou, non mais quel poète, tout est symbole chez lui », et des « Mais non, tu sais, Françoise, celle de la maison au bout de la rue. Elle vous gardait quand vous étiez petites ».
Des convenances qui s’oublient, qui s’ignorent, mais qui restent là, tapies. Des « petites laines », des « ne prends pas froid ».
De la sollicitude et de l’inquiétude.
Quand j’y retourne, je ne peux pas m’empêcher de voir ça. Je ne peux pas m’empêcher de caricaturer l’enfance, la famille, les gens que je côtoie. Parce que TOUT semble cliché, tout semble s’y conformer.
Les histoires se répètent, d’années en années.
Mais la Bretagne, Saint-Gildas, c’est aussi autre chose. C’est un endroit que j’aime, pour les souvenirs, et pour aujourd’hui, les gens qui restent."

"Et quand la journée se terminait,
Quand on revenait vers le port,
Il y avait toujours ces grandes vagues, violentes, puissantes.
On allait plus vite,
Les pieds dans le vide,
La tête vers le soleil.
On n’entendait plus que le vent,
Qui sifflait dans nos oreilles.
On ne parlait pas.
Et l’eau s’attaquait au ponton,
S’abimait en rasades
Dans nos vêtements
Glacées, salées.
Il y avait le ciel, et la nuit qui tombait.
Et de larges traînées les accompagnaient.
Du bleu, du bleu encore, mais du jaune aussi, de l’orange puis du rose, du violet.
Et les étoiles s’allumaient.
Et quand on rentrait, fourbus, fatigués et heureux,
Les autres savaient reconnaître,
Sur notre visage,
Ce sourire con,
Et l’impossibilité
De raconter."
